Volonté de vivre

Il était né d'une union absolument malsaine. Ses parents s'étaient mariés parce que, dans la haute société, il paraissait mieux de l'être que d'être seul. Ils avaient ensuite eu des enfants - elle parce qu'il fallait bien un jour ou l'autre, et lui pour une raison bien précise.
La raison qui avait, jusqu'alors, motivé toutes ses actions, sa vie au complet. Le père d'Azraël voulait un enfant pour le remplacer, pour poursuivre ses recherches à lui, professeur de nécromancie à l'académie d'archimagie la plus courue d'Odaness située en Litanique, plus précisément perché dans la Montagne de Ménor.

Ses cinq premiers rejetons n'avaient aucune prédisposition pour la magie. La dernière-née avait semblé vouloir se conformer au modèle du futur Archimage au cours de ses premières années, mais avait échoué lamentablement aux premières épreuves qu'aurait dû passer sans problème son digne successeur. C'est enragé que chaque fois il avait rejeté ces enfants «indignes» dont il ne voulait pas, et que peu à peu il avait tout simplement arrêté d'essayer pour se concentrer sur lui, sur ce qu'il pouvait faire pour seule son existence. Pendant près de quinze ans il ne fit quasiment que travailler, dormant peu, lisant, voyageant beaucoup, mettant des centaines de mages à des essais se démontrant toujours infructueux. Il commençait à se faire vieux et chaque jour qui passait le faisait paniquer un peu plus: l'âge lui tombait dessus comme des briques et faisait courber ses épaules, alors qu'approchait le seul ennemi qu'il n'avait jamais vaincu (parce qu'il s'était battu, oui, pendant sa vie, bien plus que la plupart des hommes!), la seule difficulté qu'il n'avait pu contourner.
La mort se faisait sentir dans tous ses membres que la vitalité quittait lentement.
Puis vint Azraël.

Personne ne sait comment il fut conçu. Peut-être - sûrement - que son père n'était pas son père, mais peu importait; il grandit en ranimant l'Espoir que le supposé géniteur avait perdu. La Magie vivait en lui et embrasait son regard alors que sa puissance grandissait. Il serait Grand, et son «père» le savait. Ce dernier prit ainsi en main son éducation, l'emmenant hors du monde, lui apprenant tout ce qu'il devait savoir. Quand ils revinrent chez eux, des années avaient passé. Mais n'était-ce pas cela que l'homme vieillissant avait appris à son trop jeune fils? Que le temps les rattrapait tous un jour ou l'autre? Quoi qu'il en soit, il l'avait fait entrer dans ses classes pour qu'il finisse par fréquenter tout à fait l'académie. Les élèves comme les enseignants avaient voulu protester, au départ, alors qu'un adolescent suivait des classes réservées à l'élite, mais bien vite on l'oublia et on développa un certain respect mêlé de crainte pour ce nouveau venu aux grands pouvoirs et animé par d'obscures motivations.
Obscures était le mot. Parce que qu'est-ce qui est plus noir, plus sombre ou plus froid que la Mort?

Il apprit à vivre - trop tôt - avec des étudiants compétitifs, brutaux, violents et en constante recherche de pouvoir. Il grandit réellement dans l'adversité, loin d'une mère qu'il ne connaissait pas et toujours en compagnie d'un père lui imposant toutes les lectures possibles et inimaginables, des traités scientifiques aux légendes invraisemblables où le sujet avait évité la Mort.
Ou pas.

Azraël eut vingt ans. Puis vingt-cinq. Il continuait à étudier avec ardeur, sa vie tout entière étant dédiée à ces recherches que son géniteur malade ne parvenait plus à diriger, son corps tout entier rongé par la maladie et par le temps, cet allié si traître qui sembleait aller à son rythme jusqu'à ce que, tout à coup, il soit épuisé de toujours chercher à le devancer.
Et le vieux finit par mourir.

Une bataille féroce fut livrée entre les intellectuels du monde, entre les magiciens surpuissant pour obtenir le prestigieux poste si convoités par les archimages spécialisés dans l'Art de cette nécromancie qui n'avait pas - encore - su être salvatrice. Le fils y assista de loin, perdu dans les plus grandes bibliothèques d'Odaness à la recherche de livres susceptibles de l'aider à continuer les travaux du tout nouvel habitant des cieux à qui sa nouvelle demeure ne plaisait sûrement pas. Il avait appris à ses dépens que personne, personne de bien-pensant, personne de sain ne peut vaincre la Mort.
Mais Azraël avait été élevé pour n'être ni bien pensant et encore moins sain d'esprit.

Azraël allait être promu archimage lorsqu'il découvrit ce qu'il y avait à découvrir. Le nouveau maître nécromant était un homme affable au teint cireux dont tous pensaient qu'il côtoyait bel et bien la mort d'un peu trop près. Il avait obtenu la position par quelque manipulation psychologique dans lesquelles il semblait être passé maître. Il n'était pas particulièrement zélé mais avait lu beaucoup, et c'est en subtilisant des livres de sa bibliothèque personnelle qu'il avait trouvé ce qu'il cherchait: un vieux volume, écrit à la main d'une écriture maladroite et presque illisible. Il racontait l'histoire d'un dieu exilé, d'un dieu puissant maintenant foulant le même sol que les mortels et ayant le pouvoir de rendre immortel - capacité qu'il appliquait à un seul homme à la fois, son champion.
Sa liche.

Dès lors il se renseigna sur cette divinité inconnue comme il le put; c'est-à-dire très peu. Il réussit tout de même à dénoter son penchant pour la nécromancie qui lui donnait son nom terrestre.
Le Nécromancien.
Et lui, Azraël, deviendrait son champion, sa liche.
Il serait immortel.

Il finit ses études, il eut le titre et puis il se spécialisa. Longuement. Il lut, il s'entraîna et il tua aussi, même si cela lui répugnait. Car il fallait, pour s'élever, vaincre l'actuel champion, détrôner celui dont on convoitait la place. Il devait ainsi sortir triomphant d'une joute à mort avec l'actuelle liche, homme plus tout à fait homme depuis déjà des années spécialisé dans tous les domaines reliés à la Mort. Seulement, le fils de celui qui avait échoué lui était supérieur, il savait penser: il avait aussi appris ce qui avait trait à la vie, cet opposé si proche. Il savait alors, contrairement à son père, que la clé de l’immortalité ne se situait pas dans la mort, et encore moins dans la vie, mais entre les deux, entre leurs limites.

Il trouva donc les forces du Nécromancien et se fraya un chemin parmi les hordes de mort vivant. Pour un l’adepte de la nécromancie qu’il était, il pouvait facilement les contrôler. Cependant, ses sortilèges de contrôle des morts-vivants finirent par être dissipés prématurément. Il dû rapidement changer de stratégie, décidant alors d’annihiler les légions qui l’entouraient grâce à de puissantes vagues élémentales.
            Il avait donc réussi à contrôler un assez grand nombre de soldats squelettiques pour attirer le champion de Noïro.
            Azraël s’était préparé ; il savait qu’utiliser les sorts de l’école de la nécromancie serait inutiles contre le champion de la mort. En revanche, il s’était armée d’innombrables protections magiques contre les sorts de cette école et d’autres protections de l’école de la conjuration et de l’enchantement.
            Mais la liche était trop puissante. Azraël toussait son sang et sa vision n’était plus de taches d’huiles colorées. Depuis le début de sa quête vers l’immortalité, il avait su qu’il ne serait jamais capable de vaincre ce champion, celui ayant déjà derrière lui plus d’années que sa vie et celle de son père réunie.
            Il ne pourrait jamais le vaincre.
           
            Ce fut la liche qui se vainquit d’elle-même. Grâce à ses connaissances de la conjuration, Azraël avait préparé un sort de contingence sur sa personne, s’assurant ainsi que lorsque la liche utiliserait le sort qui lui servirait à récolter son âme, le sortilège lui serait renvoyé.

            Noïro fut donc de lui son nouveau champion, sa liche, éternelle, immortelle.

C'est ainsi qu'Azraël se mit à se considérer au-delà des carcans mortels. Il ne cherchait jamais à se venger. Il ne recherchait pas la satisfaction dans le fait de voir tomber ceux qui essayaient de le provoquer. Il était plus haut que toutes ces préoccupations avilissantes.
Personne n'essayait de le provoquer, de toute façon, que peut-être une fois par décennie un jeune mage - parfois même archimage - inexpérimenté.
Il ne combattait pas avec les troupes. Il s'occupait de gestion, de stratégie, parfois, était intermédiaire surtout. Il portait les messages et voyageait sans cesse, surveillait la réussite des armées. Ses yeux étant ceux de Noïro, ses oreilles celles de son maitre, ses mains celles du Nécromancien, il ne pouvait pas mourir, mais était prisonnier d'une servilité étouffante qui le mettait mal à l'aise. L'immortalité ne se payait pas d'un tel prix, pas pour lui, en tout cas. Bien à celui qui pouvait supporter cette présence en lui pour l'éternité. Enchainé, il se mit à attendre. Attendre le moment propice.
  

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