Les Pierres des Géants

On ne sait quelle Entité fut à l'origine de la colossale présence des géants. D'ailleurs on s'en soucia très peu bien longtemps: ils se tenaient loin de la société et la société se tenait loin d'eux. Seulement un jour un homme ne les découvrit pas - on savait déjà qu'ils existaient -, mais pris pour la première fois leur existence comme une menace. Ce qu'elle n'était pas.

En effet ce seigneur, car c'en était un, les considérait comme une entrave à son développement personnel en puissance: les terres, pourtant très reculées et quasiment inexploitables, qu'ils occupaient auraient peut-être pu éventuellement lui être accordées. Alors, âme corrompue, il mit sur leur faute des enlèvements, des feux détruisant maisons et récoltes ainsi que d'autres crimes qu'il commettait lui-même. Peu de gens étaient dans le secret que ses plus fidèles conseillers eux aussi avides de la renommée que plus de terres - et peut-être même une armée de géants à leur service! - leur procurerait. C'est ainsi que pendant plusieurs mois ils instaurèrent, dans l'ombre une terreur de la différence et une haine montante pour ce peuple qui n'avait jamais fait de mal à rien ni personne.

La première attaque fut lancée une journée sombre et c'est là, en se rendant compte pour la première fois de la grandeur démesurée de ces dits géants, que le détestable homme que l'on connaît abandonna tout projet de les domestiquer et se retourna vers son deuxième plan: tous les tuer.
La première bataille fut une réussite. La deuxième aussi. Et la troisième. Le Peuple Immense n'était pas préparé à ce genre d'assaut armé, et leurs réactions violentes parce qu'apeurées accrurent encore plus la haine qu'on leur vouait et décuplèrent la force des paysans manipulés pour leur vouloir du mal. Après chaque carnage les survivants ramenaient leurs frères plus haut, chez eux, dans les montagnes, et les enterraient en scellant l'entrée de la grotte qu'ils avaient occupée. Chaque fois il se trouva quelques braves âmes pour s'occuper de leurs compagnons.
Jusqu'à ce que toutes les âmes, braves ou non, aient été anéanties.

En effet, alors qu'il batailla depuis un an de temps à autre avec ses «ennemis», il décida de mener un plus grand front, un plus grand assaut qui se déroulerait plus loin dans les terres qu'il ne possédait pas - encore. C'était David contre Goliath.
Seulement cette fois David était géants. 
Tous moururent, quasiment, massacrés, déchiquetés, baignant dans un sang qui n'aurait jamais dû être versé. Les soldats se retirèrent en ayant l'impression d'avoir accompli quelque chose alors qu'ils n'avaient fait que détruire sans savoir où ils frappaient, ce pourquoi ils tranchaient réellement ces bras et ces têtes. Le seigneur se vit octroyé les terres qu'il avait «purifiées». Il régna en tyran sur la plèbe qui l'avait si docilement suivi, jusqu'à mourir assassiné par quelque jeune homme ayant participé à l'affaire s'étant rendu compte - trop tard - de la supercherie.

Quant aux géants, un seul survécut. Il était jeune encore, et gauche, mais robuste, et incapable de monter tous ses confrères dans les montagnes et les inhumer comme il se doit, il fit venir les montagnes à eux et les ensevelit sous des tonnes de pierres, digues de roches que l'on peut encore voir aujourd'hui. Il s'exila ensuite et jamais on ne le revit.

On ne sait toujours pas, d'ailleurs, si la race des géants est aujourd'hui éteinte ou si elle veille encore, cachée au creux de quelque pic escarpé.